A tous les intoxiqués de la machine et de la grande ville, les frénétiques du rythme et les masturbés du réel, YVES propose une très enrichissante cure de silence asthénique. Bien au-delà des dévidages de mondes autres, déjà si peu perceptibles à notre sens commun du raisonnable, à côté sans doute de ce qu’il est convenu d’appeler « l’art de peindre », au niveau en tous cas des plus pures et plus essentielles résonances affectives, se situent ces propositions rigoureusement monochromes : chacune d’entre elles délimite un champ visuel, un espace coloré, débarrassé de toute transcription graphique et échappant ainsi à la durée, vouée à l’expression uniforme d’une certaine tonalité. Par-dessus le public-public, si commode miroir aux alouettes, les vieux habitués de l’informel se mettront d’accord sur la définition d’un « rien », tentative insensée de vouloir élever à la puissance + ∞ la dramatique (et désormais classique) aventure du carré de Malevitch. Mais il n’y a précisément là ni carré noir ni fond blanc, et nous sommes au cœur du problème. L’agressivité de ces diverses propositions de couleur projetées hors des cimaises n’est qu’apparente. L’auteur requiert ici du spectateur cette intense et fondamentale minute de vérité, sans quoi toute poésie serait incommunicable; ses présentations sont strictement objectives. il a fui jusqu’au moindre prétexte d’intégration architecturale des espaces colorés. On ne peut le suspecter d’aucune tentative de décoration murale. L’œil du lecteur, si terriblement contaminé par l’objet extérieur, échappant depuis peu à la tyrannie de la représentation, recherchera en vain l’instable et élémentaire vibration, signe auquel il s’est habitué à reconnaitre la vie, essence et fin de toute création… Comme si la vie n’était que mouvement. On l’oblige enfin à saisir l’universel sans le secours du geste ou de sa trace écrite, et je pose alors cette question : où, à quel degré d’évidence sensible, se situe donc le spirituel dans l’art? L’omniscience dialectique a-t-elle fait de nous des mécanismes de pensée, incapables de totale accommodation sincère ? En présence de ces phénomènes de pure contemplation, la réponse vous sera donnée par les quelques hommes de bonne volonté encore survivants.
Pierre Restany, pour Colette Allendy, Paris 1956, texte pour le carton d’invitation à l’exposition Yves, propositions monochromes
Nota 1: Rien n’oppose l’Informel à l’Immatériel, dès lors que le talent serait le cordon qui les relie ! (Ndlr)
Nota 2: De Wols et Fautrier à Klein et Martin Barré, de Tapié à Restany, je saute le pas, y reviens, et y retourne, … Y reviens, et y retourne, … Etc. ! (Ndlr)