Il n’était pas le dernier…

J’ai longuement réfléchi à l’opportunité de programmer l’exposition qu’Applicat-Prazan dévoilera  à la Fiac en octobre prochain.

Dans le contexte que nous connaissons, le silence de l’indicible n’avait-il pas vocation à se taire ?

La narration des camps, plus vraie que l’image objective, jetée sur la toile après tant de sourde retenue, avait-elle aujourd’hui vocation à raisonner ?

Et puis cette image du vieil homme gris, assis sur un fauteuil gris, se détachant sur un fond gris. Son bras soutient sa tête. C’est bientôt la fin.

Il avait raison, il n’était pas le dernier…

 

En vue de la parution prochaine du catalogue que nous coéditons avec Skira, je remercie d’ores et déjà Boualem Sansal, Pascal Brückner et Michaël Prazan pour leurs très beaux textes respectifs.

Marchand de tableaux !

J’ai honte d’avouer que je ne travaille pas ! Du moins que je n’en ai pas la sensation et, qui plus est, que je suis payé pour ce faire !

Dans un pays qui compte quelques 5 millions de chômeurs, je mesure bien évidemment ce que cette affirmation a de provocateur, mais c’est en conscience que j’ose cette forme déraisonnable d’oxymore !

Chercher un emploi, c’est travailler ! Être indemnisé pour ce faire, le temps que cela dure, c’est l’honneur de notre modèle social !

Moi, je ne travaille ni ne cherche d’emploi ! Je suis marchand de tableaux …

Exercer en qualité de marchand de tableaux – et en vivre qui plus est -, c’est pour moi un peu comme si fin gourmet j’avais été et que Gault et Millau m’avait offert une carrière de critique gastronomique !

J’ai été coopérant chez Cartier à Toronto, acheteur de casseroles, tire-bouchons et salières au Bon Marché, assistant du Président de Dior Couture, en charge des briquets et stylos chez (re-)Cartier (International, cette fois), avant qu’un jour on me propose un poste dans une maison de ventes… oh, pas pour y vendre des tableaux ! Pour l’organiser… Pour la préparer à une révolution française : la fin du monopole des commissaires-priseurs et l’ouverture des enchères volontaires à la concurrence (sous-entendue anglo-saxonne) !

En cinq ans chez Christie’s à Paris, j’aurai construit une salle des ventes et en aurai ordonnancé tous les services, recruté 70 personnes, monté deux entrepôts, un studio photo, aménagé les 35 heures, instauré le Comité d’Entreprise, le CHSCT, accompagné l’évolution de la législation en prévision de la loi qui allait devenir celle de juillet 2001, contribué à multiplier par 7 le volume d’affaires… Mais je n’aurai pas vendu (selon ma définition toute personnelle) un seul tableau !

Puis, j’ai été conseil ! Non pas courtier… Conseil ! Métier difficile que celui-ci qui consiste à s’entremettre entre la parole du vendeur et celle de l’acheteur pour le compte duquel nous agissions… A ses risques et périls, puisque c’est lui qui payait nos émoluments, en surplus de la chose, lorsque sa décision bienheureuse était de l’acquérir ! Je pense que nos clients d’alors n’auront pas eu à se plaindre de nos diligences (encore moins ceux qui ont su garder), mais moi, je n’avais toujours pas vendu (selon ma définition toute personnelle) un seul tableau !

Mon Père, dont la nature n’était pas exactement à l’indolence, et qui, droits à la retraite liquidés, avait 15 ans plus tôt fondé sa galerie après une vie de contrariétés dans le textile qu’il exécrait, me dit un beau jour: « Pourquoi ne vendrais-tu pas vraiment des tableaux ? ». Et d’ajouter : « J’arrête ! Donc soit je vends (mais à qui ?), soit tu prends la suite ! ».

Vendre des tableaux ? En avais-je la capacité ? Les connaissances de base peut-être, pour avoir passé chacun des dimanches de mon enfance au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, certes sans y avoir été forcé, mais plus par obéissance filiale que par conviction héréditaire. J’ai donc racheté… et pris la suite !

Je n’aurais pas pu travailler avec mon Père, nos caractères étant par trop contradictoires. Mais pour une fois, je l’ai écouté, et après quelques temps de cohabitation raisonnée – en fait, avec le recul, des instants d’éternité, de ceux-là même qui font qu’on prend fondamentalement conscience de la vie -, j’ai poursuivi et, grâce à lui, depuis, je ne travaille plus !

Je partage désormais (j’en mesure le privilège) le regard des Staël, Soulages, Fautrier et autres génies qui font de nous des humains. Je vis dans l’attente du prochain tableau que je nettoierai, encadrerai, décrirai, reproduirai et exposerai, avant que de me résoudre à m’en séparer.

Et à ce jour, je n’en ai toujours pas vendu un seul (selon ma définition toute personnelle)! Car il m’aura fallu attendre de devenir marchand pour savoir qu’on ne vend pas un tableau…

… Un tableau, on vous l’achète !

Galeries françaises ou internationales, étrangères ou locales…

Mon frère est docteur en lettres et écrivain, mon oncle a passé sa vie à lire et tenait une librairie, mes cousins sont enseignants… et moi je fais ce que je peux ! Mais j’ai toujours accordé du prix aux mots et au sens qu’ils revêtent…

Dans mon métier de marchand de tableaux, j’ai souvent pu constater un certain désordre lexical dès lors qu’il s’agissait, notamment, de qualifier un diffuseur au regard de sa localisation géographique et de sa portée statutaire ou économique !

Comment blâmer en la matière quand le marché de l’art est source permanente de confusion ? En effet, il est pour moi par essence :

Exogène :

Les forces extérieures y prennent souvent le pas sur les forces intérieures. Le meilleur exemple en la matière est celui donné par la place de Londres qui représente 21% des transactions mondiales (et 64% des transactions européennes), alors que la demande purement nationale y est très minoritaire. Il est vrai que la capitale anglaise est elle-même largement ouverte aux divers apports étrangers, et qu’il y a fort à parier qu’elle le demeurera malgré le Brexit !

Le nexus, point de rencontre de l’offre et de la demande, est fréquemment tout autant indépendant du lieu géographique sur lequel il s’appuie que de la nationalité des acheteurs et des vendeurs qui s’y croisent. A l’instar d’Art Basel (Bâle) ou de Tefaf (Maastricht), les grandes foires internationales organisées dans des villes qui ne sont pas des capitales mondiales en apportent une éclatante démonstration.

Contre-intuitif :

Lorsque l’on parle de marché de l’art, on se réfère volontiers aux ventes publiques pour en apprécier le poids économique. Pourtant, la part des transactions privées demeure aujourd’hui encore majoritaire avec 53% d’un gâteau mondial estimé à quelques 63,8 milliards de dollars en 2015. De même, il est à tort admis que le prix record pour un Artiste est celui mesuré aux enchères… Dans les faits, cela ne va pas de soi, et loin parfois s’en faut !

Comme pour le point qui précède, il faut se référer à la place occupée par Christie’s (7,4 milliards de dollars en 2015, dont 6,5 milliards aux enchères et 851 millions en privé) et Sotheby’s (6,7 milliards de dollars en 2015, dont 6,0 milliards aux enchères et 673 millions en privé) pour en chercher l’explication.

Asymptomatique :

Alors que le commerce mondial laisse une part de plus en plus substantielle aux transactions B to C en ligne (sans doute bientôt 10% des ventes de produits et services, avec des taux annuels de progression de l’ordre de 20%), 93% des ventes d’œuvres d’art et objets de collection demeurent physiques et leur part relativement stable sur la durée.

Par ailleurs, le recours à un intermédiaire professionnel (galerie, marchand, maison de ventes), compte tenu de la place occupée par l’expertise et de la valeur financière des échanges, est un passage obligé qui prévaut tant pour les acheteurs que pour les vendeurs. L’uberisation du marché de l’art n’est pas pour demain !

Dans ce contexte incertain du point de vue lexical, qu’est-ce qu’une galerie internationale ?

On peut être une galerie à la fois française et internationale, comme on peut être une galerie étrangère et locale !

En creux, être français ne cantonne pas nécessairement au périmètre hexagonal, comme être étranger ne signifie pas obligatoirement que l’on se voue au monde !

Posséder des implantations stables à l’étranger est une piste intéressante pour qualifier une galerie concernée d’internationale, mais ce n’est pas une condition absolument nécessaire ni entièrement suffisante car la participation aux foires permet de passer outre cette obligation qui s’impose à bien d’autres secteurs de ventes au détail (notamment celui des produits de luxe). Encore faut-il avoir accès à ces foires puisque les plus importantes d’entre elles sont le plus souvent réservées aux galeries… internationales !

Art Basel accueille moins de 10% de galeries suisses. Quant à la Fiac et à Frieze, sans que n’existent de quotas, elles ouvrent de fait leurs stands à environ 25% de galeries nationales chacune, soit certes davantage en valeur relative qu’Art Basel, mais Londres et Paris sont des capitales mondiales et des scènes artistiques dont la couleur spécifique, le bruit et la saveur doivent être pris en compte par les organisateurs quand Bâle est une pure destination de la Culture et du commerce de l’Art, principalement au moment de la foire.

Une autre piste serait la nationalité des Artistes dont les galeries montrent le travail. Mais cette piste est également parcellaire puisque, plus que leur nationalité, c’est la scène dans laquelle les Artistes s’insèrent qui importe, d’une part, et que, d’autre part, les Artistes ont tous vocation à être représentés à l’étranger, hors justement les limites territoriales de leur encrage d’origine… Par conséquent, plus que les Artistes liés à la scène artistique de son pays d’implantation, une galerie internationale a surtout vocation à majoritairement montrer le travail d’Artistes internationaux, qu’ils soient d’ores et déjà avérés à ce titre, ou qu’ils possèdent le potentiel pour y prétendre. Comment déceler ce potentiel est un autre débat, et pas forcément l’apanage des seules galeries… internationales !

Une dernière piste est incontestablement celle de la demande. Une galerie internationale a en effet vocation à conquérir des acheteurs (collectionneurs particuliers et/ou institutions publiques et privées) dans le monde entier. Mais encore une fois, pour une galerie, et sauf exceptions notables de rares diffuseurs qui, par la puissance de leur marque et/ou de leur réseau d’implantations à l’étranger, auraient réussi à s’affranchir (relativement !) des grandes foires internationales, le prix de cette conquête est le plus généralement à acquitter auprès de ces dernières.

En résumé, une galerie internationale, au-delà du lieu principal ou d’origine depuis lequel elle opère ou dont elle est issue, est une galerie qui montre le travail d’Artistes internationaux (ou qui ont vocation à le devenir), qu’elle vend à des acheteurs internationaux, grâce notamment à l’accès que lui confère les foires internationales auxquelles elle participe…

La question-clef, et qui reste en suspens, est la suivante :

Que faut-il faire quand on est une galerie dont la vocation est internationale pour participer aux foires internationales, et ainsi provisoirement conquérir ce statut tant convoité, et dont il ne faut jamais oublier qu’il est par nature précaire … ?

 

Source des chiffres : Tefaf Art Market report 2016 / Arts Economic / Clare McAndrew

Une mesure simple et efficace

Parmi les difficultés auxquelles les diffuseurs d’œuvres et objets d’art en ventes privées (galeries d’art contemporain au 1er marché, marchands d’art moderne et antiquaires au 2nd marché) sont confrontés figure en bonne place la faiblesse structurelle de leurs fonds propres.

Les fonds propres sont la source de financement idéale qui permet notamment de constituer des stocks. Les stocks sont par ailleurs la promesse du renforcement à venir des fonds propres. Un cercle vertueux, en quelque sorte … Encore faut-il bien acheter, ce qui, dans la plupart des cas, échappe à toutes les recettes !

Rares sont les banques qui apportent leurs concours au financement des stocks. Mieux vaut donc pouvoir compter sur ses forces endogènes, dans un domaine par ailleurs potentiellement fortement capitalistique.

On cherche souvent les raisons qui permettraient d’expliquer le retard des acteurs français par rapport à leurs homologues anglo-saxons. Seraient-ils moins efficaces, nos Artistes seraient-ils moins bons ? Peut-être ! Ou pas ! Moi, je ne crois pas ! Je pense que nous souffrons surtout d’un manque criant de fonds propres !

Contrairement à la plupart des secteurs économiques, la durée de vie des biens que nous commercialisons dépasse celle de leurs diffuseurs. Non seulement, ils ne sont par nature pas périssables, mais ils n’ont aucune vocation à l’obsolescence (même si, dans les faits, et sans parler de talent, c’est ce qui guette la production des moins chanceux de leurs créateurs !). Une œuvre d’art nous survit et, en principe, les propriétaires de son support matériel aspirent à ce qu’elle se valorise (ceux de son support moral, l’Artiste ou ses ayants droit, également !).

Au 1er, comme au 2nd marché, constituer des stocks, c’est capitaliser pour l’avenir !

Prenons le cas particulier des galeries d’art contemporain. Le métier qu’elles pratiquent est en fait celui d’agent ! Mais en beaucoup plus sophistiqué puisqu’il faut produire, participer aux foires, forger du sens visant à objectiver le travail des Artistes, et disposer d’un lieu permanent sans lequel point de salut (c’est-à-dire ni expositions, ni accès aux foires !). Pourtant, le plus souvent, toutes les ressources financières consacrées sont absorbées par ces charges immatérielles. Elles contribuent largement à valoriser le travail de l’Artiste qui, lui, les capitalise (et c’est justice, car sans Artiste, pas de marchands !), à contrario du diffuseur dont la seule perspective de capitalisation, savoir la constitution d’un stock, lui échappe par manque de moyens. Si de surcroît à terme l’Artiste change de galerie, ce qui arrive de temps en temps, il ne reste le plus souvent au galeriste que de beaux souvenirs…

Au 2nd marché, l’évolution récente des prix des grands Artistes modernes a été telle que, bien souvent, au moment où une œuvre comparable se présente, il faudrait pouvoir la racheter plus chère qu’on ne l’a vendue !

Dans les deux cas, seul le stock judicieusement constitué est gage de pérennité !

Je propose l’instauration d’un mécanisme propre à stimuler la compétitivité des diffuseurs d’œuvres et objets d’art en France par l’incitation à l’investissement en stock.

En voici le descriptif :

Terrain fiscal :

Provisions réglementées

Dénomination de la mesure :

Provision pour constitution de stocks d’œuvres et objets d’art, de collection ou d’antiquité

Buts recherchés :

  • Incitation à l’investissement en stock ;
  • Renforcement des fonds propres des diffuseurs ;
  • Renforcement des ressources des Artistes plasticiens ;
  • Soutien à l’économie nationale des biens culturels dans un contexte concurrentiel défavorable à la France depuis plusieurs années ;
  • Augmentation des recettes fiscales induites en termes de TVA et d’IS principalement par effet multiplicateur d’activité.

Description :

  • Le dispositif permet l’amortissement linéaire sur trois ans des achats d’objets d’art, de collection ou d’antiquité (tels que définis à l’article 98 A de l’annexe III du CGI) intervenus au cours d’un exercice quelconque et non vendus au jour de la clôture dudit exercice ;
  • Le bénéfice de cette mesure est subordonné à la condition qu’un montant au moins équivalent à la provision correspondante soit consacré à l’achat de nouveaux stocks au cours de l’exercice suivant ;
  • Au cas où le montant consacré à ces achats serait inférieur à la provision, celle-ci serait reprise a dû concurrence de la différence ;
  • Le prix d’achat initial demeure la base de référence pour le calcul de la TVA sur la marge.

Illustration :

  • Tout ce qu’un marchand, galeriste ou antiquaire aura acheté sur un an et qui n’aura pas été vendu à la date de clôture de l’exercice (disons 120) pourra bénéficier d’un amortissement automatique linéaire sur 3 ans (40 / 40 / 40) ;
  • La condition est que ce diffuseur consacre l’année suivante au moins la même somme au réinvestissement dans son stock que celle provisionnée l’année précédente (40 donc) ;
  • La provision génère pour ceux qui payent de l’impôt sur les sociétés un surcroît de trésorerie égal à [40 x (33 1/3 %)] = 13,33 ;
  • Pour l’état, le manque à gagner en impôt n’est au pire que reporté dans le temps [puisqu’un stock qui aurait été entièrement provisionné (disons 120) générerait une marge commerciale (taxable à l’IS nette de charges) égale à son prix de vente], et au mieux plus que compensé par l’effet multiplicateur du réinvestissement.

Cette mesure a été présentée au Ministère de la Culture et de la Communication en 2015 avec le soutien du Comité Professionnel des Galeries d’Art et du Syndicat National des Antiquaires. Elle a ensuite été défendue par le Ministère dans le cadre de la préparation du Projet de Loi de Finances pour 2016.

Il a un temps été question qu’elle puisse ne s’appliquer que partiellement pour ne bénéficier qu’aux galeries de 1er marché, ce qui contreviendrait tant à son esprit qu’à son efficacité, et qui serait donc contre-productif. Un amendement en ce sens a même été défendu en octobre 2015 par MM Bloche et Muet qui n’a pas prospéré.

Espérons qu’elle puisse prochainement être entendue, dans toute sa portée et pour tous les diffuseurs en ventes privées… Ce qui ne manquerait pas de bénéficier également aux diffuseurs en ventes publiques qui comptent parfois les premiers parmi leurs clients…

Angleterre 0 – Brexit 2 ?

Ma surprise au soir du match Angleterre – Islande, lundi 27 juin, n’a connu de récente égale que celle éprouvée le vendredi précédent, au réveil douloureux du référendum britannique sur l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union Européenne.

Décidément, l’Euro ne réussit pas aux anglais… !

Et si, contre l’avis de tous les cassandres, c’était l’inverse qui devait prévaloir ? Et si l’Angleterre sortait vainqueur contre l’Europe du pugilat annoncé (si tant est qu’il ait finalement lieu !) ?

Effondrement du Sterling, marasme immobilier, perte de 8 à 10 points de PIB d’ici à 2020, relégation de la City au rang de place subalterne, fuite des expatriés et, surtout, pour ce qui me concerne, désaffection de Londres comme épicentre régional du marché de l’art au profit de Paris…

A peu de choses près fédéraliste, je me sens autant européen que français, et je dois dire qu’à ce double titre cette perspective aurait de quoi me ravir, n’était l’admiration profonde que je voue à la culture et à l’histoire de nos grands voisins de par-delà la Manche !

Et s’il en était autrement ? Et si, fidèles à leur tradition, nos meilleurs ennemis (ou pires amis) trouvaient les ressources qu’ils ont toujours su quérir pour faire fi des persiflages et ouvrir par-là même la voie pernicieuse aux souverainistes de tous poils (dont la seule chose qui m’apparaisse certaine est qu’ils ne pourront pas compter sur les ressources internes dont j’entrevoie déjà la convocation, passées les falaises de Douvres !).

Le Royaume-Uni (Londres, quasi-exclusivement), c’est 21% du marché de l’art ! Certes, loin derrière les Etats-Unis (43%), mais 3,5 fois mieux que la France (6%), et 10 fois plus que l’Allemagne !

Bien entendu, il suffirait que Christie’s et Sotheby’s en décident, mettons en privilégiant désormais Paris, pour que la donne en fut changée. Il n’en sera rien !

Imaginons, imaginons seulement :

  • La livre redonne durablement 20% de pouvoir d’achat supplémentaire aux collectionneurs de tous horizons qui se vivent en dollars ou en euros ;
  • Contre la volonté populaire, le statut des NonDom conquiert une nouvelle liberté à mesure que s’éloigne Bruxelles ;
  • La perspective d’une sortie effective de l’Angleterre de l’Union accélère – et amplifie – le départ des derniers candidats à l’exil fiscal à destination de Londres qui anticiperaient l’exigibilité de l’Exit Tax ;
  • L’impôt sur les sociétés est ramené de 20 à 15% (voire à 12,5% pour contrer l’Irlande), quand il demeure en France à 34,33% ;
  • l’Ecosse réussit l’exploit de concomitamment demeurer dans le Royaume-Uni et d’adhérer à l’Union Européenne, rendant par-là même chimérique tout rétablissement des barrières douanières entre l’Angleterre et les 27, et faisant de Glasgow un nouveau hub en Grande-Bretagne… (Bon, ça je l’admets, ce n’est pas le plus certain car il est peu probable que l’Union Européenne n’y trouve rien à redire…) ;
  • Et quand bien même la TVA à l’importation serait rétablie, renchérissant les œuvres d’art en provenance de l’Union Européenne, elle ne pèserait, en ventes publiques, que 5% sur le prix d’adjudication. Or, d’une part l’élasticité de la demande des enchérisseurs est faible par rapports aux frais que lui font supporter les maisons de vente et, d’autre part, c’est le vendeur qui décide du lieu de vente. S’il considère que Londres, malgré sa perte de compétitivité liée à la TVA à l’importation, demeure commercialement le meilleur choix, il prendra en compte le fait que les enchères progressent par incréments de 10%. Une enchère de plus à Londres qu’à Paris, c’est 10% de produit supplémentaire, pour le vendeur et pour la maison de vente ! Tant pis pour l’acheteur qui paiera bien en sus la TVA à l’importation …!
  • … Et puis, n’oublions pas, parallèlement, le droit de suite aura disparu d’Albion qui l’aura tant décrié (avant d’en transférer indument la charge à l’acheteur alors qu’elle incombe au vendeur!).

Non, décidément, pour battre les anglais, il va falloir, comme les islandais au football, que nous soyons meilleurs qu’eux… et là, ce n’est pas encore gagné !

Source des chiffres: Tefaf Art Market report 2016 / Arts Economic / Clare McAndrew

« Zao Wou-ki n’est pas Vincent van Gogh, et comparaison n’est pas raison ! »

Tribune parue dans Le Quotidien de l’art le 23 mai 2016

En mars dernier, un projet d’amendement parlementaire avait été rejeté qui visait à créer une obligation nouvelle pour certains biens culturels dont la mise en vente publique aurait impérativement dû intervenir en France si elle avait eu lieu dans l’année qui aurait suivi la demande du certificat (dit passeport).

L’occasion m’avait alors été une première fois offerte par le Quotidien de l’Art d’écrire qu’empêcher par la contrainte que des œuvres d’Artistes de France n’aillent se confronter à celles de leurs homologues étrangers sur le champ de bataille des grandes ventes internationales, à New York, Londres, ou Hong Kong, c’était entreprendre un exercice d’affaiblissement délibéré de notre puissance culturelle, réduire ces œuvres à la portion congrue du marché, les ramener à nos propres turpitudes, les frapper d’un handicap dont elles n’avaient avant tout pas besoin.

Par ailleurs, il était assez évident qu’une telle mesure, si elle avait été adoptée, aurait très certainement contrevenu aux réglementations européennes qui établissent notamment la libre prestation de services au sein de l’Union.

Un nouvel amendement vient d’être proposé au Sénat en seconde lecture du projet de loi Liberté de la création, architecture et patrimoine qui rétablit la disposition, tout en étendant le lieu de vente au territoire de l’Union européenne, dans un souci, est-il stipulé ( !), de compromis…

Sont pêle-mêle évoqués en objet du texte, les objectifs de permettre :

– à Paris de jouer à « armes égales » avec Londres, New York, ou Hong Kong,

– à l’Etat d’exercer son droit de préemption qui serait, selon les rédacteurs, le seul gage d’enrichissement des collections publiques.

S’agissant de ces armes qui se voudraient égales, je ne vois pas desquelles il pourrait bien s’agir puisque ni Londres, ni New York, ni Hong Kong n’en disposent de telles, ce qui ne les empêche pas de représenter respectivement 19%, 40% et 26% des parts du marché mondial des enchères d’œuvres et objets d’art quand Paris plafonne à 5% (source Tefaf Art Market report 2016).

Quant à la préemption, il n’est pas à ma connaissance prévu que Londres, qui demeure encore à ce jour dans l’Union européenne, en octroie le droit d’exercice sur son territoire à l’Etat français !

Enfin, il est connu de tous que l’enrichissement des collections publiques est essentiellement l’apanage des sources du privé, stimulées par des politiques publiques incitatives, efficaces et réalistes qui, fortes du constat de la diminution de leurs ressources directes, favorisent les dations, legs et autres donations.

En réalité, cette proposition est portée par quelques opérateurs de ventes publiques nationaux qui ont cru qu’elle pourrait être de nature à les aider, par la coercition et le protectionnisme, à lutter contre Christie’s et Sotheby’s. Il est assez pittoresque de noter qu’aucun de ces opérateurs ne dispose de salle des ventes à Londres (place de marché à qui la nouvelle rédaction de « compromis » ferait le cadeau de la favoriser par rapport à New York ou Hong Kong … !), contrairement aux deux leaders mondiaux, qui, rappelons-le, sont également régulièrement leaders à Paris!

Il me semble que l’environnement juridique de la protection du patrimoine national en France est, en l’état, le plus équilibré qui soit. Il est à la fois clair, lisible et pratique : soit une œuvre présente le caractère de Trésor National, et on la classe, l’Etat assumant alors sa responsabilité en s’en portant acquéreur, soit ce n’est pas le cas, et on ne voit pas très bien alors à quelle catégorie intermédiaire de bien culturel elle pourrait appartenir, ni qui aurait vocation (et selon quels critères ?) à la qualifier… je plains d’avance les services de la Direction des Musées de France, et ceux des conservations des grandes institutions muséales nationales…

Dans l’hypothèse – peu réaliste, espérons-le ! -, où cette mesure serait adoptée, se pose également la question des finances publiques qui risqueraient de se voir à nouveau confrontées à une répétition de l’épisode douloureux du Jardin à Auvers dans lequel l’Etat avait été condamné en 1996 à verser 145 millions de francs à la famille Walter, pour la dédommager de l’interdiction de sortie du territoire d’une peinture de Van Gogh. C’est d’ailleurs cette décision judiciaire qui avait conduit la France à revoir sa législation sur la protection des trésors nationaux, laquelle, aux seuils d’exportation près, aujourd’hui dépassés, est sans doute la meilleure au monde.

Zao Wou-Ki n’est pas Vincent Van Gogh, et comparaison n’est pas raison ! mais, toute chose égale par ailleurs, son marché (on peut le regretter) est devenu essentiellement asiatique, et Hong Kong ou Taipei ses places les plus naturelles de ventes aux enchères. En instituant une nouvelle servitude (même temporaire) qu’il n’indemniserait pas‎, et sans se déclarer acquéreur, l’état n’exposerait-il pas sa responsabilité au regard de la possibilité pour le vendeur d’une peinture du grand peinture français né en Chine de librement disposer de son bien en décidant de le proposer à l’encan en Asie ?

Si le but officiellement déclaré, et largement louable, des parlementaires est de favoriser la mise en place de mesures propres à dynamiser le marché français, il existe bien des dispositifs possibles, applicables et vertueux, dont nous sommes quelques professionnels de terrain à pouvoir les exposer avec plaisir à nos interlocuteurs publiques.

 

Franck Prazan

Le 19 mai 2016, Paris

« Pourquoi les oeuvres de Pierre Soulages, de Nicolas de Staël, de Jean Dubuffet devraient-elles être privées de confrontation avec celles de leurs homologues étrangers ? »

Tribune parue dans Le Quotidien de l’Art le 29 mars 2016

C’est avec stupeur que j’ai pris connaissance du projet d’amendement parlementaire visant à créer une obligation nouvelle pour certains biens culturels dont la mise en vente publique devrait impérativement avoir lieu en France si elle avait lieu dans l’année qui suivrait la demande du certificat (dit passeport).

Empêcher par la contrainte que des œuvres d’Artistes de France n’aillent se confronter à celles de leurs homologues étrangers sur le champ de bataille des grandes ventes internationales, c’est entreprendre un exercice d’affaiblissement délibéré de notre puissance culturelle.

Nous n’en avons expressément pas besoin, et c’est à tout l’inverse qu’il faudrait prétendre et inciter.

Que je sache, il n’est venu à personne l’idée saugrenue de rendre obligatoire que les œuvres de Barnett Newman ou de Franz Kline soient vendues à New York? Pourtant, qui pourrait concevoir de les présenter à la vente ailleurs qu’à New York?

Voir l’engouement que suscitent, aujourd’hui même, trois tableaux de Zao Wou-Ki sur mon stand à Hong Kong, c’est comprendre le cheminement de l’Artiste et de ses œuvres: lorsqu’il s’installe à Paris en 1948, il accède à la liberté de créer et à une diffusion que la révolution chinoise n’aurait alors sans doute pas permises. Le fait qu’aujourd’hui son marché soit devenu asiatique dans son nexus et dans sa destination finale auprès des collectionneurs de la région apparaît comme une revanche de l’Histoire.

Et cette revanche honore et récompense la création française…

La culture est une arme dans la grande bataille internationale à laquelle nos sociétés sont confrontées. L’hégémonie du marché américain résulte d’une volonté politique née après-guerre d’imposer un modèle au reste du monde. On peut le déplorer mais constater en même temps que les ventes publiques à New York emportent 35% des parts du marché mondial quand, de 50% il y a 60 ans, nous nous maintenons péniblement à 5% depuis plusieurs années. C’est l’alliance objective des Artistes, de leurs marchands, de la critique, des institutions et des collectionneurs qui aura permis d’atteindre cet objectif encore une fois politique.‎ Cette alliance nous fait défaut depuis 60 ans!

La mesure proposée, louable qu’elle soit dans ses intentions déclarées, si elle devait in fine être adoptée, et à supposer qu’elle soit conforme aux règles européennes, ne changerait rien à cette donne d’airain‎. C’est un lieu commun de constater que l’enfer est pavé de bonnes (?) intentions.

Pourquoi les œuvres de Pierre Soulages, de Nicolas de Staël, de Jean Dubuffet, pour ne citer que quelques Artistes, dès lors qu’elles se trouveraient en France et qu’elles nécessiteraient l’autorisation légitime de l’Etat pour quitter le territoire devraient être privées de confrontation avec celles de leurs homologues étrangers dont elles n’ont rien à envier.

Je montre le travail de ces Artistes dans toutes les foires importantes du monde, et je suis parfaitement conscient que c’est ce travail qui nous porte et de loin non l’inverse. Il n’a pas à pâlir devant celui des Artistes anglo-saxons ou italiens par exemple, et ne demande qu’à ce qu’on le voie pour s’en convaincre.
Empêcher que leurs œuvres s’affichent dans les catalogues de vente des grandes maisons internationales à New York, Londres ou Hong Kong, c’est les réduire à la portion congrue du marché, les ramener à nos propres turpitudes, les frapper d’un handicap dont elles n’ont certes pas besoin.

Les ventes publiques sont ma principale concurrence. Pourtant, je suis convaincu que le même type de raisonnement que celui qui sous-tend la mesure coercitive proposée engendrerait la fausse conclusion que ce qui affaiblirait les maisons de vente me renforcerait… c’est aussi inepte que le schéma dont il est question ‎!

Soit une œuvre présente le caractère de Trésor National, et on la classe, l’Etat assumant alors sa responsabilité, soit ce n’est pas le cas et, si sa qualité le permet, elle ira battre des records là où son marché l’appelle!

On peut regretter, comme c’est mon cas, que la valeur d’une œuvre d’art soit trop souvent réductible à son prix‎ mais, en ce cas, c’est à la règle du jeu mondial qu’il convient de s’attaquer. Pourquoi pas? Mais dès lors que l’on souhaite entrer en jeu, il faut, avec les règles existantes, tout faire pour l’emporter en visant l’excellence. Et rien n’exclut les Artistes de France de cette perspective ni ne nécessiterait qu’on les protégea contre eux-mêmes.

Je rêve au contraire du jour ou Freud ou Bacon ou Fontana ou Pollock ou Motherwell ou Richter viendront se vendre à Paris… et peut-être ce jour-là, Picasso aussi se vendra en France !

 

Franck Prazan

Le 25 mars 2016, Art Basel Hong Kong